Ribera : Appolon et Marsyas
Voici une oeuvre du peintre espagnol Josepe de Ribera :
Josepe de Ribera, Appolon et Marsyas, 1637.
Marsyas est un satyre issu de la mythologie grecque. Voici ce qu'on en dit sur Wikipedia :
"Athena invente la flûte (...), mais elle la jette dès qu'elle s'aperçoit qu'en jouer déforme son visage (...). Marsyas la ramasse et devient rapidement un musicien expert.
Il finit par défier Appolon, maître de la lyre. Le concours est présidé par les Muses et le roi Midas. Les Muses déclarent Apollon vainqueur. Pour punir Marsyas de sa démesure (...), l'Archer le fait écorcher, et jette sa dépouille dans une grotte, d'où coule une rivière, qui prendra le nom du satyre. Le Marsyas se jette dans le Méandre. Pour avoir tranché en faveur de Marsyas, le roi Midas reçoit pour sa part une paire d'oreilles d'âne.
Le concours entre Apollon et Marsyas, symbole de la lutte entre les influences apolliniennes et dionysiennes de l'homme, est un sujet favori des artistes antiques."
Les sujets antiques, comme on le sait, trouvèrent une nouvelle vie picturale dès la Renaissance. D'ailleurs, j'ai déjà montré ici cette peinture du Titien représentant la même scène du supplice de Marsyas :
Titien, Le supplice de Marsyas, 1575-1576.
Cette peinture du maître vénitien a donc été réalisée une cinquantaine d'années avant celle de Ribera. Si elle n'a pas directement influencé le peintre espagnol (qui a, précisons-le, fait toute sa carrière à Naples, alors province espagnole), il n'en reste pas moins que Titien fut une des influences essentielles de Ribera. Observons à ce titre le fameux Bacchus et Ariane, déjà entrevu également dans le billet mentionné précédemment :
Titien, Bacchus et Ariane, 1523-1524.
Observez bien le mouvement du tissu étrangement flottant de Bacchus. Ne ressemble-t-il pas à celui d'Appolon ?
De plus, bien que la palette colorée soit beaucoup plus réduite, on sent chez Ribera une pâte picturale libre et pregnante, notamment dans le traitement du ciel ou ou de la chair, plaisir de la matière directement hérité des innovations du Titien.
Le tableau de Ribera est d'autre part frappant par la masse imposante de ces deux corps, qui rappelle un certain Michel-Ange.
Michel-Ange, détail du Jugement dernier, chapelle Sixtine, 1537-1541.
Michel-Ange, détail de la Chapelle Sixtine, 1511.
Comme chez Michel-Ange, les corps de Ribera sont tendus à l'extrême, dans des torsions puissantes, exaltant la masse musculaire. Le Christ de Michel-Ange comme les deux figures de Ribera présentent des disproportions entre un visage qui apparaît minuscule par rapport au reste du corps, ce qui accentue considérablement la présence de ces corps.
On constate donc que du Titien, Ribera garde le mouvement surnaturel du drapé et la dynamique de la touche picturale, que de Michel-Ange il retient la dynamique toute en puissance des corps. Des dynamiques poussées à leur paroxysme, qui font entre autres la marque de ce qu'on appelle la peinture baroque.
Enfin, ce qui distingue cette oeuvre d'une synthèse de ces deux maîtres italiens, c'est l'influence primodiale d'un troisième lurron, toujours italien mais de la génération suivante : Caravage évidemment.
Caravage, David, 1600.
Caravage, Christ à la colonne, 1607.
Caravage, Salomé avec la tête du Baptiste, 1609.
Le clair-obscur tranché de Ribera découle en droite ligne de celui du Caravage. On y retrouve ce même surgissement des corps, cette même lumière froide, ce même effet spectaculaire. On retrouve aussi une expression réaliste de la souffrance. Un art voué à frapper les esprits.
En bonus, Ribera a peint la même année une autre version de son tableau :
Josepe de Ribera, Appolon écorchant Marsyas, 1637.